KIYONAGA (TORII)

KIYONAGA (TORII)
KIYONAGA (TORII)

Le dessinateur d’estampes, le peintre, l’illustrateur que fut Torii Kiyonaga, compte parmi les artistes les plus accomplis du mouvement Ukiyo-e. Et son œuvre gravé passe généralement pour avoir déterminé l’apogée de la xylographie japonaise.

Si la plupart de ses peintures et dessins ont trait au monde théâtral, sa célébrité tient surtout à sa conception de l’éternel féminin. Aussi loin du rêve éthéré de Harunobu (1725-1770) que de la sensualité d’Utamaro (1754-1806), et sans rapport avec les mœurs corrompues du temps, sa vision du monde s’inscrit entre l’idéalisme et le réalisme, dégageant une grandeur sereine, un équilibre parfait, bref un véritable classicisme.

Kiyonaga et l’atelier des Torii

Fils d’un libraire d’Edo (l’actuelle T 拏ky 拏), Torii Kiyonaga entra très jeune dans l’atelier des Torii, l’école la plus traditionaliste du mouvement Ukiyo-e, dont l’activité principale concernait le théâtre de kabuki .

Son fondateur, Torii Kiyonobu (1664-1729), avait su créér, pour la représentation d’acteurs, une expression particulièrement adaptée, synthèse de la grandiloquence propre au kabuki et d’une vigueur à la manière de Moronobu (mort vers 1695). Le dynamisme s’y trouvait heureusement servi par le procédé traditionnel du hy 拏tan-ashi (jambe en forme de calebasse) et le mouvement, par celui du mimizu-gaki (dessin de ver).

Kiyomasu (1694-1716?), qui dirigea ensuite l’atelier Torii, insuffla de l’élégance au style acquis. Mais cette alliance de grâce et de vitalité dégénéra bientôt, chez ses successeurs directs, par manque d’imagination et pieux conformisme: le rythme devint agitation et l’élégance, mièvrerie. Le succès de l’atelier n’en fut pourtant pas démenti, car le public initié d’Edo avait le goût conservateur; le rendu conventionnel d’attitudes scéniques comblait son attente, et, quant à signaler l’identité des acteurs, le blason y suffisait.

Après cet interrègne, Kiyomitsu (1735-1785) s’imposa comme le chef de l’atelier et perpétua, telle quelle, la tradition de l’école, réservant le meilleur de son talent à une production en marge du théâtre: de nombreux portraits féminins à la grâce alanguie, dans la veine de Harunobu.

À l’époque où Kiyonaga débute chez Kiyomitsu, le courant réaliste de l’ère Anei (1772-1780) ébranle les vieilles traditions et engage l’estampe dans des voies nouvelles. Ippitsusai Bunch 拏 (1725-1794) et surtout Katsukawa Shunsh 拏 (1726-1792) créent le vrai portrait d’acteur, par individualisation des traits; en outre, ils élargissent la formule en présentant les vedettes non plus seulement sur scène, mais aussi à la ville et dans la vie quotidienne. Cette innovation intéresse vivement le jeune Kiyonaga, qui subit l’influence de Shunsh 拏 dès 1778; il le dépassera même bientôt dans cette intention réaliste. Si Shunsh 拏 concentre exclusivement son attention sur l’acteur, Kiyonaga, sans aller plus avant dans l’étude psychologique, soigne davantage la composition et veille particulièrement à la véracité du cadre.

Quand Kiyomitsu mourut, la réputation de Kiyonaga était à son zénith, si bien que tous le réclamèrent comme successeur. Après de longues hésitations, à contre-cœur, Kiyonaga accepta cet honneur et cette responsabilité: autrement dit, une tâche prestigieuse qui le contraignait à dépouiller son originalité pour rester dans la tradition, les Torii étant les peintres officiels du kabuki .

Dans ses nouvelles fonctions, en effet, il abandonna peu à peu toute activité personnelle, pour assumer ce qui, aux yeux des Torii, faisait le privilège de leur chef, c’est-à-dire la peinture de grandes affiches, la confection et l’illustration de programmes et de billets de théâtre.

Le peintre de l’éternel féminin

Le nom de Kiyonaga évoque, avant tout, ses estampes de jolies femmes qui inspirèrent tant d’artistes. Sur les traces de Kiyomitsu, mais en cherchant son propre style, il s’était attaché très tôt à la représentation féminine. Sa première manière fut cet idéal de rêve illustré par Harunobu, encore vivace vers 1770. Mais, la vague réaliste intervenant, Kiyonaga suivit alors Shigemasa (1739-1820) et Kory sai (seconde moitié du XVIIIe siècle) dans une conception plus naturaliste.

À force d’étudier styles, composition, jeux de lignes, harmonies de couleurs, Kiyonaga, à vingt-neuf ans, maîtrise son expression et crée un nouvel idéal de beauté. Ses personnages élancés, à l’anatomie exacte, ont assimilé tout à la fois la vigueur de Moronobu, l’intellectualité de Masanobu, le charme hautain de Ch 拏shun, le réalisme de Kory sai et l’absence de passion de Harunobu, sans que ces aspects soient isolables.

Pour mettre le dessin en valeur, Kiyonaga choisit des tonalités claires, subtilement réparties, harmonie avivée par un emploi judicieux du noir. Pour donner plus de réalité à ses personnages, il préfère aux fonds neutres des arrière-plans traités avec amplitude, surtout des paysages. Ces mises en pages impeccables révèlent son sens de l’équilibre et de l’espace: les plans s’enchaînent habilement, les groupements sont ingénieux et les attitudes naturelles. L’un des premiers, il s’illustra dans la composition de diptyques et de triptyques de grandes dimensions, sachant garder à chaque feuille sa valeur propre.

Ainsi, pendant toute l’ère Temmei (1781-1788), Kiyonaga, au faîte de son talent, s’imposa irrésistiblement à ses contemporains. Il éclipsa, en effet, tous les dessinateurs d’estampes, tant confirmés que prometteurs: les maîtres chevronnés cherchèrent à leur talent d’autres emplois et les futurs chefs de file se mirent à son école. Mais ces huit ans d’activité intense épuisèrent son inspiration, tandis que ses fonctions de peintre officiel du kabuki l’occupaient à l’excès; il se trouva bientôt, dans le dessin d’estampe, supplanté par la jeune génération. Il y renonça d’ailleurs progressivement et, de 1795 jusqu’à sa mort, il œuvra presque exclusivement pour le théâtre et se limita à la peinture.

Brève apogée, longue éclipse, tel fut le destin de Kiyonaga et de tant d’autres artistes de l’Ukiyo-e. Cette décadence rapide s’explique par le fait qu’au Japon le dessinateur d’estampes était acculé par l’éditeur à deux obligations contradictoires: produire à un rythme tel qu’il excluait les possibilités de renouvellement et faire toujours du neuf pour conserver la faveur du public.

Si d’aucuns n’attribuent pas volontiers à Kiyonaga le mérite d’avoir porté l’estampe à son acmé, tous s’accordent à lui reconnaître un rôle capital dans l’histoire de l’Ukiyo-e: en huit ans, il sut fixer un nouvel idéal de beauté et composer un style qui, tous deux, devaient dominer la fin du XVIIIe siècle et marquer le XIXe siècle.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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